L’Etat, le marché et quelques questions préliminaires à propos du commun
Introduction. La sagesse dominante.
La justice sociale est, dans les démocraties occidentales, l’affaire des institutions de l’Etat providence (actuellement en déclin). On considère généralement l’accès aux programmes de justice sociale comme assuré par les « droits de seconde génération ». Ces droits sociaux ne sont pas purement négatifs (il ne s’agit pas que de protections contre les infractions) comme les droits de propriété, mais sont considérés comme positifs, c’est-à-dire qu’ils obligent l’Etat de façon spécifique.
Cette vision, qui place sur l’Etat le poids spécifique de la satisfaction des droits sociaux, est cohérente avec l’évolution de la jurisprudence occidentale. Depuis la révolution scientifique et la Réforme, la justice sociale a été exclue du cœur du droit privé . La notion scolastique de loi, qui s’enracine dans la conception développée par les jésuites de l’université de Salamanque au XVIe siècle pour laquelle il y a deux concepts de justice – distributive et commutative – a été abandonnée dès le début de la jurisprudence occidentale moderne. A partir de Grotius (XVIIe siècle), les questions sur la justice ont été assimilées à celles de l’équité dans l’échange contractuel entre individus. Selon cette vision, la distribution de ce qui est censé appartenir à toute la société et pas seulement à ses éléments a été considéré comme un fait social : la justice a alors été exclue de la science juridique. L’économie, qui s’est développée comme une branche autonome du savoir au XVIIIe siècle, partage une telle vision. D’après cette sagesse dominante, les questions de distribution ne peuvent faire partie d’un discours scientifique fondé sur le positivisme. La distribution est considérée comme relevant bien plus du domaine des valeurs politiques que des faits mesurables empiriquement. La justice distributive devient une question politique qui doit être gérée (si elle doit l’être) par les institutions d’Etat et de droit public. La naissance de l’Etat providence au début du XXe siècle a été considérée comme une intervention exceptionnelle de régulation (par des politiques fiscales) dans l’ordre du marché, avec comme objectif spécifique de garantir une forme de justice sociale aux membres les plus faibles de la société. En Occident, depuis lors, la justice sociale n’a plus été capable de revenir au cœur du discours sur les droits fondamentaux, et par conséquent est demeurée constamment à la merci d’une crise fiscale : pas d’argent, pas de droits sociaux !
Aujourd’hui, le concept de commun peut fournir exactement les outils, à la fois légaux et politiques, dont nous avons besoin pour contrer la marginalisation progressive de la justice sociale. Etant en dehors de l’opposition de l’Etat contre le marché, le commun, en tant que cadre institutionnel, propose un paradigme juridique alternatif, offrant une plus équitable distribution des ressources, avec pour conséquence directe la justice sociale.